NEWS
Agathe Boschel
Djam la revue 01/07/2016
Riffs de vagues, ondes de guitare, Chanson d'amours commence comme l'Avril de Laurent Voulzy. Voui voui, je viens de citer « Slow Down » et voui voui, on ose avouer, on aime ! Après un premier album L'homme des sables (2012), Benjamin nous entraîne tout droit sur l'archipel calédonien, glissant comme une planche à voile de Nouméa sur un premier riff guitaristique au rythme extrêmement resserré, amarré à quelques encablures des remous saccadés et sensuels de la voix du joueur de trombone... Pon Pon. « Nous hisserons [donc] les voiles sans moteur et sans commandant ».
Mais qui est cet étrange monsieur un peu chauve au nom à particule ? Un nomade né d'une mère danseuse péruvienne (on en comprend des choses!) un chouïa en marge dans le panthéon de la chanson française [1] qui doit certainement beaucoup à son paternel, grand compositeur de musique de film, François de Roubaix, qu'on salue depuis Paris. Un homme qui file surtout sa musique comme une partition de la mer, du vent, de l'air chaud et des eaux salées, ce fameux « livre au fond [qui] n'a pas été lu » dirait Ponge [2]. Sauf qu'ici, on lit la métaphore musique /mer : il s'agit de chansons.
Fidèle à papa, Benjamin reprise et réinvente sa vieille boîte à musique synthétique qui ragaillardit ces eaux tranquilles en les rendant à leurs sources, les fameuses influences du dit-hurluberlu-ubuesque-papa - gros recourt de synthé, de voix démultipliées (effet coquillage), bruits incongrus qui apparient la guitare vers sa modernité. Une musique qui prime pour son dépaysement mimétique du voyage introduit dans la première chanson. Par endroit, on frôle presque la musique gitane (« Comme Mathusalem »), les traditions africaines (l'intro de « Ma fleur africaine »), quand on ne découvre pas carrément une réécriture sud-américanisée fraîche et gaie luronne de « La Javanaise » du sieur Gainsbarre. Force nous est alors de tirer révérence à l'artiste pour ses influences éthniques diversement rapatriées avec justesse dans l'album. En prime, le jeune loup de mer surfe sur des rythmes amérindiens plutôt bien réussis qui ritualisent ses chansons d'amour solennisées. Percu, flûte et transe vocale en guise d'épilogue, « La ballade de Crazy Dog » ne trompera personne. On admirera donc dans cet album le jeu de pirouette entre des ritournelles océaniques centrées autour du combo gagnant guitare/voix (« Nouméa », « Chansons d'amour ! » où se relayent guitare et piano, « En el monte ») rythmées avec simplicité, sobriété mais excellemment et des chansons plus travaillées, moins épurées qui charrient toute une historiette de traditions éthniques...
Benjamin de Roubaix, la fibre paternelle
Par François-Xavier Gomez — 13 mars 2013 à 21:46
Jazz. Le fils du compositeur de musiques de films défend son premier CD à Paris.
C’est le genre d’air qu’on se souvient avoir entendu, sans être capable d’en situer l’origine, à moins d’être un collectionneur de soundtracks. Le thème principal du polar de José Giovanni la Scoumoune (1972), composé par François de Roubaix, était une obsédante ritournelle. Dans la version de Benjamin de Roubaix, il devient une pépite funky qui devrait séduire les DJ aventureux. Le second nommé est le fils du premier, mais les deux hommes ont à peine eu le temps de se croiser : Benjamin avait quelques mois quand disparaît à 36 ans, en 1975, dans un accident de plongée aux Canaries, le plus novateur et prolifique des compositeurs du cinéma français. Quelques semaines plus tard, le premier césar de la meilleure musique lui sera remis, à titre posthume, pour le Vieux Fusil. Benjamin est tromboniste comme le fut François. C’est même en découvrant l’instrument du défunt dans une armoire qu’il s’initia :«J’ai constamment baigné dans la musique, car mon beau-père était lui aussi musicien.»
Pénurie. A 19 ans, après une année de fac en psycho peu satisfaisante, Benjamin se dit qu’il est inutile de résister : il sera musicien comme ses deux pères. Il travaille le trombone classique, qu’il oublie quand il découvre la salsa. En 1996, à son retour de l’armée (à Tahiti, dans la fanfare), il part à Cuba, berceau du son, matrice de ladite salsa, «pour étudier la musique en général, pas le trombone», précise-t-il. Bien qu’il soit hispanophone (sa mère est péruvienne, son beau-père, argentin), les premières semaines sont dures dans le contexte de pénurie générale qui frappe l’île. Il trouve une école réservée aux étrangers où il apprend le tres (guitare cubaine) et les bongos. Et travaille sa voix.
De retour à Paris, il crée Salsafran, un groupe latino. Après avoir accumulé un savoir impressionnant (il est aussi passé par la prestigieuse Berklee School of Music de Boston), De Roubaix a publié son premier disque à 37 ans, fin 2012. Quatre des dix titres proviennent de l’héritage paternel, et cinq sont de son cru. La matière sonore qu’il élabore tient du jazz et des musiques de film, avec leurs ambiances à suspense, leur efficacité mélodique. «Mais les musiciens et moi avons voulu aller vers une forme de primitivisme, avec des instruments insolites : guimbarde, shofar, ocarina, bendir…»
«Inédits». Autre choix original : ne pas enregistrer qu’avec des logiciels. «Nous n’avons pas été jusqu’à enregistrer sur bandes, mais nous avons utilisé une excellente console analogique. La différence avec le numérique, c’est qu’une fois qu’on a validé un mix, revenir dessus est une opération lourde, ça oblige donc à faire des choix et à s’y tenir. Maintenant, avec les logiciels comme Protools, on peut constamment revenir en arrière, revenir à zéro. Ce n’est pas forcément une bonne chose.»
Benjamin de Roubaix passe une partie de son temps à gérer le catalogue de son père, en liaison avec sa sœur aînée, Patricia. «Nous répondons aux demandes d’exploitation du catalogue, commente le musicien, aux propositions de reprises ou d’adaptations. Beaucoup de choses ont été rééditées mais il reste pas mal d’inédits. Son œuvre pour la télé notamment. Nous travaillons à un CD qui rassemblera un de ses travaux : les musiques pour Commissaire Moulin.»
Benjamin de Roubaix se voit bien faire un deuxième disque de jazz, ou figurerait le thème de Dernier Domicile connu, une des œuvres de son père qu’il préfère. «Mais je ne peux pas vivre tout le temps plongé dans le passé.» Il a aussi des envies de chanson, pour lui ou d’autres.
Benjamin de Roubaix CD : L’Homme des sables (Codaex).